L'Europe et nos données de santé
Comment utiliser les données de santé de manière plus efficace, au bénéfice des patients mais aussi de l'innovation et de la recherche ?
Comment utiliser les données de santé de manière plus efficace, au bénéfice des patients mais aussi de l'innovation et de la recherche ?
Christian Horemans, expert affaires internationales à l’Union Nationale des Mutualités Libres
Comment utiliser les données de santé de manière plus efficace, au bénéfice des patients mais aussi de l'innovation et de la recherche ? Telle est la question centrale à laquelle la Commission européenne tente de répondre avec sa proposition d'un espace européen des données de santé. Il s'agit d'une proposition très ambitieuse qui aura un impact important sur les soins de santé et qui accorde une attention particulière à l'utilisation secondaire des données de santé. En Belgique, nous avons entretemps pris les premières mesures pour pouvoir appliquer ce règlement.
Outre la « transition verte », la Commission européenne s’attèle également à la « transition digitale », notamment à l'amélioration de l'utilisation, de la gestion et de la circulation des données. Et cela concerne aussi les données relatives à la santé. Le 3 mai 2022, la Commission européenne a publié une proposition de règlement sur l'espace européen des données de santé, plus connu sous le terme anglais "European Health Data Space" ou EHDS. "L'espace européen des données de santé est un changement fondamental pour la transformation digitale des soins de santé dans l'UE", a déclaré Stella Kyriakides, commissaire européenne à la Santé et à la Sécurité alimentaire. Bien entendu, l'EHDS comporte aussi un angle économique important : on compte sur une croissance supplémentaire de 20 à 30 % du marché digital de la santé. La Commission européenne espère un accord politique en 2023, ce qui pourrait rendre ce règlement applicable dès 2025.
L'EHDS vise à garantir la sécurité des droits du citoyen/patient dans un environnement digital. Les citoyens recevront le plein contrôle de leurs données et pourront ajouter des informations, corriger des données incorrectes, limiter l'accès d'autres personnes et obtenir des informations sur la manière dont leurs données seront utilisées et à quelles fins. Et ce, peu importe dans quel État membre se trouvera le citoyen ou le prestataire de soins de santé. La liste des données de santé qui pourront être partagées selon ce règlement est longue : vérifier qu'elles passent toutes le test de la loi européenne sur la vie privée RGPD sera donc essentiel.
Le règlement EHDS définira les catégories prioritaires de données de santé que les États membres devront pouvoir échanger par voie électronique. L'Europe définira le format d'échange (ensembles de données, système et valeurs d'encodage, spécifications techniques). Le règlement déterminera également les spécifications et les exigences de forme auxquelles devront répondre les systèmes de dossiers électroniques des patients. La Commission européenne affirme qu'elle ne vise pas l'harmonisation, mais ces dispositions - conçues pour garantir l'interopérabilité – assureront, de fait, une certaine forme d'harmonisation.
La Commission européenne mettra en place une plateforme centrale de santé digitale, MyHealth@EU pour soutenir et faciliter l'échange de données électroniques de santé entre les États membres. Chaque État membre devra désigner à cette fin un point de contact national pour la santé numérique. Une tâche pour la Health Data Authority, qui est en train de se développer aujourd'hui au niveau fédéral.
Les applications de bien-être qui prétendent être interopérables avec les systèmes de dossiers électroniques des patients devront également se conformer aux exigences du règlement et pourront alors obtenir un label le cas échéant. Peut-être serait-il intéressant que les applications de suivi et de traitement médical doivent également répondre à ces exigences ?
A côté de cette utilisation primaire, l'Europe veut permettre l'accès aux données de santé à des fins d'utilisation secondaire pour 15 catégories minimales de données de santé, allant des déterminants sociaux, environnementaux et comportementaux aux données génétiques et génomiques humaines en passant par les données de remboursement. Pour l'échange de données électroniques sur la santé à des fins secondaires, une infrastructure transfrontalière sera également développée, HealthData@EU, et les États membres devront inclure tous les ensembles de données disponibles dans un catalogue de données.
L'accès à ces données de santé ne pourra être accordé que si la demande répond à l'une des huit finalités spécifiées, comme par exemple les activités de développement et d'innovation et la fourniture de soins de santé personnalisés. En tout état de cause, l'accès aux données de santé sera refusé dans certains cas, notamment lorsqu'elles seront utilisées pour prendre des décisions préjudiciables aux personnes, ou lors du développement de produits ou de services susceptibles de nuire aux individus ou à la société.
L'une des dispositions les plus controversées du règlement concerne l'article relatif aux redevances que les instances ou les détenteurs de données pourraient facturer pour la mise à disposition de données de santé électroniques à des fins d'utilisation secondaire. Celles-ci devraient être "transparentes" et "objectivement justifiées". La Commission européenne créera un cadre à cet effet. Beaucoup s'interrogent à ce sujet. Les données publiques de santé seront-elles mises à la disposition des acteurs commerciaux pour presque rien ou même gratuitement ? Il ne fait aucun doute que cette disposition fera encore couler beaucoup d'encre. En Finlande, il existe une loi sur l'utilisation secondaire des données de santé depuis 2019, et les redevances restent un sujet brûlant. La Commission européenne préconise en fait l'altruisme au niveau des données, c'est-à-dire la fourniture spontanée et volontaire de données de santé, sans demander ni recevoir de rémunération. Les « intermédiaires de partage de données» faciliteraient ceci.
La Belgique, quant à elle, ne reste pas inactive. Il est rassurant d'apprendre que les préparatifs de l'EHDS seront inclus dans le nouveau plan d'action eSanté 2022 - 2024. Il est entre autres important de désigner ou créer de nouveaux organismes et autorités dans chaque État membre pour aider à l’exécution du règlement EHDS. Les missions et tâches de ces nouveaux organes seront étendues et engendreront une certaine charge de travail. Il ne fait ainsi aucun doute que la future Health Data Authority se chargera de certaines d’entre elles, comme celle d’être le point de contact national pour l'utilisation primaire et secondaire. Reste à savoir qui assumera le mieux les autres rôles, à savoir l’autorité de santé numérique, l’organisme responsable de l’accès aux données de santé, et l'autorité de surveillance du marché pour les systèmes de dossiers médicaux électroniques.
Le développement du BIHR ou Belgian Integrated Health Record tombe également à pic. Il semble judicieux de considérer déjà autant que possible les exigences du règlement EHDS, comme pour l'exercice des droits des citoyens/patients.
Le dernier mot n'a pas encore été dit dans ce dossier. Il est essentiel que tous les acteurs concernés du secteur des soins de santé gardent ce dossier à l’œil dans les mois à venir. Les Mutualités Libres le suivront de toute façon de près. L’EHDS présente de nombreux atouts pour l'accompagnement et le traitement des patients et la politique de santé, ainsi que pour la recherche et l'innovation. A cet égard, le respect des droits fondamentaux des citoyens est essentiel dans la gestion et l'utilisation des données de santé. Une chose est sûre : l'intérêt général doit toujours primer sur les arguments économiques de l’EHDS.