Les chiffres sont connus ; les raisons aussi. Citons notamment les vases communicants entre les différentes branches de la sécurité sociale, la réduction du nombre de personnes au chômage ayant induit une augmentation du nombre de personnes en invalidité ; le vieillissement de la population active ; le recul de l’âge de la pension du public féminin ; la croissance du nombre de malades et des durées d’incapacité liées à leur maladie ; ...
Que le système de l’incapacité de travail soit devenu une « bombe » sociétale, c’est un fait, reconnu par tous les experts ; l’essentiel est à présent de parler en termes de « solutions ».
Une première solution est assurément d’agir en amont : la prévention et la promotion de la santé restent une nécessité, non seulement dans les discours, mais aussi dans les actions. En ce domaine, il n’est plus tolérable que, hors crise sanitaire, la Belgique et ses entités fédérées se limitent à des investissements équivalents à 2,1% des moyens alloués aux soins de santé, alors que la moyenne européenne s’établit à 3%. On souligne : on parle bien d’ « investissements » et non pas de « dépenses », chaque euro investi en prévention pouvant en rapporter 4.
Une deuxième solution est la réforme du système même de l’incapacité de travail. En vérité, ce système a été revisité il y a moins de 5 ans, mais sans concertation et sans réflexion poussée sur son implémentation. Résultat : le projet, a priori séduisant sur le papier, s’est révélé complexe dans la pratique. Les trajets de réintégration se sont avérés peu flexibles ; leur formalisation a induit un surcroît de procédures administratives pour le titulaire, l’employeur et les médecins concernés ; dans de nombreux cas, les délais de réintégration se sont allongés. Or, à l’heure où les parcours professionnels et médicaux diffèrent d’une personne à l’autre, il est nécessaire de rendre le système plus agile, plus flexible, afin qu’il puisse prendre en compte simultanément les nécessités liées à la guérison et les possibilités de retour à l’emploi. S’il ne faut pas négliger le repos nécessaire à la rémission, il ne faut pas non plus omettre la souffrance et les difficultés éventuellement induites par l’arrêt de l’activité professionnelle.
Pour rendre ce système plus agile et plus efficace, les autorités envisagent le recrutement de « return to work coordinators » dans les cabinets des médecins-conseils. Si l’idée est excellente sur le principe, il faudra s’assurer que ces nouveaux acteurs pourront agir d’une part sans excès de formalisme, et d’autre part en bonne intelligence avec les autres professionnels concernés. A cet égard, le renforcement du pool des médecins-conseils serait pertinent, puisqu’on n’en compte que 260 pour une population d’invalides de plus de 500 000 personnes. Par ailleurs, de nouveaux outils pourraient amener une forte plus-value, comme une plateforme de communication digitale permettant l’échange instantané d’informations entre les nombreux acteurs concernés, tout en assurant le respect de la législation GDPR.
Une troisième solution consiste à revoir et à simplifier le calcul des indemnités. Le niveau de celles-ci devrait se situer entre le seuil de risque de pauvreté et le salaire minimum, afin que la personne en incapacité bénéficie des moyens nécessaires à sa subsistance et à sa guérison, mais qu’elle soit incitée à retourner vers l’emploi après avoir retrouvé des capacités suffisantes et certifiées médicalement. Dans le cas spécifique de la reprise du travail à temps partiel, le cumul des indemnités et des revenus devrait être inférieur au salaire originel à temps plein afin de réduire l’éventuel « piège à l’emploi ».
Prévention, flexibilisation des trajets de réintégration et révision du calcul des indemnités : les Mutualités Libres en appellent, non pas à la dépense, mais à l’investissement dans les politiques d’incapacité de travail. Changer la donne ne se fera pas sans investir dans la prévention et le bien-être au travail, sans renforcer les effectifs permettant l’accompagnement des personnes en incapacité de travail et sans revoir les barèmes d’indemnités. Changer la donne implique de percevoir que chaque euro bien investi facilitera le retour des personnes (suffisamment) guéries dans un environnement professionnel sain. Changer la donne implique de se rappeler qu’investir dans l’incapacité de travail, c’est, à terme, infléchir la croissance des dépenses dans ce secteur, favoriser le retour à l’emploi et donc accroitre les revenus de l’Etat au travers des cotisations sociales. Changer la donne, c’est enfin avoir une vision politique globale, dans le cadre de la réforme de l’incapacité de travail mais aussi de celle, à venir, des pensions et des fins de carrière.
Il s’agirait là d’une politique publique saine et durable, garantissant en même temps la bonne gestion des deniers publics et la maximalisation du bien-être des citoyens.
Xavier Brenez
Directeur-général des Mutualités Libres