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Santé des adolescents : sortir des clichés !

L'adolescence est une période radicale. Au-delà des modifications physiques et des interrogations existentielles, quand on parle de santé, quelles sont les particularités de cette tranche d'âge ? Rencontre avec le Dr Nicolas Zdanowicz, chef du service de psychosomatique au CHU Namur-Godinne, professeur de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’UCLouvain et auteur du livre "Adolescence et santé".
 

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sortir des clichés

Pourquoi est-ce important de faire le point sur la santé des ados ?

La difficulté quand on parle des adolescents, c'est qu'on fait face à des idées préconçues sur ce qu'est un adolescent, ce qu'il pense ou comment il se comporte. Alors que le propre de l'ado est de faire mentir les gens qui "savent". En matière d'adolescence, il faut vraiment se méfier des affirmations toutes faites, peu importe le domaine scientifique. Il y a énormément de filtres dont il faut tenir compte, entre les projections qu'ont les adultes des ados et l'attitude secrète et distante de ces derniers.

Dr Nicolas Zdanowicz

Les chiffres contredisent-ils ces idées toutes faites ?

Tout à fait ! Par exemple, on affirme qu'il y a de plus en plus d'adolescents obèses, mais en consultant le résultats d'études récentes sur le sujet, on constate que la proportion de jeunes en surpoids est de 12,5 % et que, depuis 1993, ce chiffre n'a pas évolué. Donc, quand on dit que les jeunes sont de plus en plus gros, ce n'est pas vrai ! Par contre, ce qui est vrai c'est qu'il y a de plus en plus d'adolescents. Donc, en valeur absolue, oui il y a plus d'adolescents en surpoids. C'est vrai aussi pour la consommation d'alcool. Si on regarde les 12-18 ans, ils consomment de moins en moins d'alcool et de moins en moins de cannabis. Quant à l'âge de la première relation sexuelle, il n'a pas changé depuis les années 90. Un autre exemple est l'usage du préservatif. Très utilisé par les jeunes en secondaires, son usage diminue parmi les jeunes adultes…

Prenons un exemple dans le domaine de la santé mentale. On dit : "les jeunes sont dépressifs". Une des preuves en est la multiplication de la prescription d'antidépresseurs sur les vingt dernières années. De nouveau, il faut nuancer : entre 12 et 18 ans, on constate une courbe croissante de symptômes dépressifs. Cela prouve seulement que de nombreux jeunes présentent des symptômes, mais pas qu'ils sont dépressifs ! C'est compliqué, mais il faut faire la part des choses entre ceux qui ont vraiment besoin d'un accompagnement médicamenteux ou thérapeutique et ceux qui traversent la période adolescente de manière morose, ce qui est assez banal. Il faut éviter de cataloguer trop vite et de prescrire des antidépresseurs.

Quels sont les principaux enjeux en promotion de la santé des ados ?

Au sein même de la tranche d'âge de l'adolescence, il y a des spécificités liées à plusieurs facteurs. Le niveau d'enseignement, par exemple. Ou quand on parle de la consommation de fruits et légumes, le meilleur "score" concerne des jeunes de l'enseignement général. Cette consommation est moins bonne en technique ou professionnel. Cela signifie donc qu'il faut être plus attentif à passer ce genre de message dans l'enseignement professionnel. Il y a aussi le facteur de l’âge : on consomme plus de fruits et légumes à 12 ans qu'à 18 ans. Sans oublier le facteur du genre, de la richesse ou du milieu de vie… Cela donne donc une idée des populations de jeunes sur lesquelles mettre l'accent. On considère que les jeunes les plus à risque sont ceux qui adoptent tôt des comportements d'adultes et qui, par conséquent, vont consommer, s'exposer à des risques lors de relations sexuelles, ou brosser l'école… Il peut donc y avoir des facteurs de risque qui se cumulent. Le problème est aussi qu’il y a de fortes chances que ces jeunes-là ne soient pas exposés aux campagnes de promotion s'ils ne sont plus en milieu scolaire. Il faut faire plus attention à eux.

Comment aborder les questions de santé avec les ados ?

Il faut tout d’abord éviter de partir de l'idée que l'adolescent est incompétent dans le domaine de sa santé. Alors là on est sûr qu'il n'écoutera pas les messages qu'on veut lui faire passer. Il faut vraiment partir de son point de vue et de ce qu'il sait. Et même voir plus loin, et partir des mauvaises habitudes de santé des adultes. Si les adultes avaient l'humilité de dire : "voilà, ça, c'est le genre de comportement non sain que nous, adultes, avons et auquel on aimerait que vous n'adhériez pas", ce serait plus pertinent pour les adolescents. Avec ces deux points de départ, on fait déjà énormément. Le plus grand danger pour les ados serait d'imiter les comportements des adultes. Donc, si les adultes se remettent en cause pour faire de la promotion auprès des ados, le message sera plus porteur.

Quelles seraient les priorités de santé pour les ados de 2022 ?

On est en train de mener une étude sur l'augmentation des consultations chez le psy, qui ont doublé depuis 2019 même si on pense qu'il y avait déjà une augmentation avant la crise Covid-19. Les principales plaintes sont liées aux projets de vie face à l'incertitude ambiante. Surtout dans le contexte lié à la pandémie où on a catégorisé les activités essentielles ou non. Les interactions indispensables avec les pairs ont été compliquées pendant le confinement, avec des contacts réduits à néant ou au virtuel. On a vraisemblablement eu une perte du côté de l'autonomisation des jeunes pendant la crise, ce qui rime avec anxiété et dépression. On a aussi observé un pic dans les anorexies ou la malbouffe. Côté écrans, c'est compliqué de dire ce qu'il en est. Quand on ajoute tous les usages récréatifs des écrans ou liés aux devoirs pour l'école, quand on fait le tri de tout ça, on se rend compte que le nombre d'ados qui surconsomment des écrans est limité. On parle de 7 % des ados qui utilisent trop les écrans.  

Quel rôle peut jouer l'école ?

Par exemple pour la prévention tabac ou marijuana, l’une des règles principales serait de ne pas faire la même prévention en première secondaire qu'en rhéto. Le nombre de jeunes qui ont déjà essayé sera plus grand en rhéto. La campagne unique et uniforme en promotion de la santé, c'est une mauvaise idée. Les comportements changent énormément entre 12 et 19 ans. Les stratégies de promotion doivent s'étaler sur le temps, garder un œil sur le long terme. Faire de l'EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) une seule fois et puis plus rien, ce n'est pas efficace. Alors que les questions qui se posent dans le domaine ne sont pas les mêmes à 12 et à 17 ans. Et les garçons et les filles ne se posent pas les mêmes questions et n'ont pas les mêmes comportements. Il faut étaler les thèmes de promotion de la santé sur le long terme. Et cela vaut pour tous les domaines de prévention : alcool, tabac, sexualité, poids…

Quel autre lieu peut fournir de la prévention ?

Du côté des centres PMS (centres psycho-médico-sociaux) et des services PSE (promotion de la santé à l’école), je pense qu'ils devraient davantage cibler leurs actions. Par exemple, sur l'enseignement professionnel plutôt que sur le général, mais aussi auprès de ceux qui font de l'absentéisme scolaire ou ont des difficultés scolaires. Il faut cibler ceux qui sont plus en danger que d'autres. Une autre piste est de coupler la remédiation scolaire à de la sensibilisation santé.

Par ailleurs, des études ont montré que le meilleur acteur pour faire ce type de promotion reste le pédiatre ou le médecin généraliste parce qu'il connaît tous ses jeunes patients, il connaît leurs parents, il suit toute l'évolution du jeune, il peut calquer son intervention sur où en est l'ado dans cette famille-là. En complément des campagnes en milieu scolaire, le médecin généraliste a donc un rôle super important dans cette promotion de la santé.