Êtes-vous inquiet face à l’explosion du nombre de personnes en incapacité de travail ?
Oui. Et c’est surtout l’augmentation exponentielle du nombre de travailleurs en maladie de longue durée qui est particulièrement inquiétante. Il faut s’attarder aux causes structurelles du phénomène. Malheureusement, nous assistons à beaucoup d’annonces et à peu de réponses structurelles alors que l’enjeu est bien identifié. Il faut donc rechercher des solutions durables.
Une récente étude de Sciensano a mis en évidence l’impact des maladies chroniques sur la vie professionnelle. On est face à un phénomène structurel, qui concerne l’ensemble de la population. Il faut être conscient que les changements démographiques et sociaux que nous connaissons sont à l’origine d’un nombre croissant de cas de maladies dans la population. Certaines catégories sont plus concernées comme les travailleurs plus âgés et les femmes. Ces dernières, plus nombreuses sur le marché du travail, sont davantage exposées aux maladies de longue durée.
Vous plaidez avant tout pour un renforcement de la prévention ?
Absolument. On sait que les principales causes d’incapacité de travail sont les burnout, les troubles psychosociaux de façon générale et les troubles musculosquelettiques. Pour cette dernière catégorie par exemple, la législation du travail belge est nettement insuffisante. Les risques ergonomiques ne sont pas suffisamment pris en compte. Il est ainsi très curieux de constater qu’il n’y a pas d’initiative qui soit prise pour s’attaquer aux causes démontrées scientifiquement. Par contre, de nombreuses initiatives sont prises en aval, lorsque l’on est déjà dans une situation d’incapacité de travail. Donc le plus efficace, le plus équitable, c’est de mettre le focus sur les causes et la prévention. Ce volet est insuffisamment considéré dans les politiques publiques actuelles. Par le passé, on accordait davantage d’importance aux conditions d’un travail faisable et réalisable, un "werkbaar werk" pour reprendre l’expression néerlandophone.
On mise sur le volet curatif et pas assez sur le préventif dites-vous...
Au plus le phénomène d’incapacité de travail s’accentue, au plus il faut rechercher ses causes structurelles. Il s’agit d’un enjeu sociétal. Nous sommes donc convaincus que le mode d’organisation actuel du travail peut rendre les gens davantage malades. On s’habitue au fait qu’un certain nombre de personnes ne parviennent plus à bout de leur travail sans devenir malades. Prenons l’exemple des travailleurs plus âgés : on prolonge leurs carrières sans prendre les mesures d’accompagnement nécessaires pour veiller à ce que leur job reste tenable. Donc, cette combinaison d’une approche insuffisante pour le maintien d’un travail tenable et le vieillissement des travailleurs forme une des causes principales du problème. Cela ne veut pas dire que tout peut se résoudre sur le lieu de travail, mais on pourrait y mener une politique préventive plus forte.
La mise en place de coordinateurs de retour au travail (RTWC) est-elle un pas dans la bonne direction ?
Certainement. L’idée de pouvoir compter sur des intervenants qui vont coordonner et simplifier les contacts entre parties prenantes est une bonne chose, tout comme la mise à disposition des acteurs d’une plateforme d’échange d’information.
L’orientation politique est donc bonne. Le fait de confier cette mission aux mutualités, l’est aussi. Ces dernières sont idéalement placées pour la remplir.
A première vue, l’approche est donc soutenante, mais elle est insuffisante. Ce ne sont pas quelques dizaines de coordinateurs qui pourront changer la donne au vu du nombre de personnes en incapacité de travail. Nous regrettons aussi que le gouvernement ait ensuite complété son approche par un volet de sanctions. Si la personne ne collabore pas et ne remplit pas le formulaire qui lui est soumis, elle pourra être sanctionnée et privée d’une partie de son indemnité. Ce n’est pas efficace de fonctionner comme cela. Une étude menée à l’étranger l’a par ailleurs démontré. Donc, si la réforme est au départ positive, le gouvernement affaiblit l’efficacité de celle-ci en ne prévoyant pas suffisamment de coordinateurs et en ajoutant un volet "sanctions".
Vous ne croyez pas à la responsabilisation de l’ensemble des acteurs ?
Je crains le climat politique. Electoralement parlant, il peut paraître porteur d’agiter le bâton et de se montrer strict. Cela a pour effet d’entrer dans un cercle vicieux de culpabilisation, avec des mesures qui ne fonctionnent pas. Lorsque les autorités optent pour une approche plus sévère, elles flattent une partie de leur électorat, mais elles ne se soucient pas de l’efficacité de leur réforme. Il s’agit d’une vraie crainte de notre part. Il faut donc veiller à ce que le focus se situe au niveau des solutions et pas d’une surenchère électorale.
Le secteur est très complexe. Êtes-vous favorable à une simplification ?
Je ne suis pas sûr que les solutions soient principalement à rechercher du côté de la simplification de procédures. Bien sûr il est pertinent que celles-ci soient claires et lisibles pour les personnes concernées, mais le plus indispensable, est de se focaliser sur les causes structurelles de cette explosion du nombre de personnes en incapacité de travail.
Il faut d’abord s’attaquer aux racines du problème, en misant sur la prévention. Ensuite, il y a le volet curatif ainsi que la simplification des procédures et un renforcement de l’accompagnement. Mais tant que l’on ne se penche pas sur les causes réelles de cet afflux gigantesque de 22.000 nouveaux malades de longue durée par an, les réformes de processus et d’accompagnement pour un retour vers le travail resteront peu porteuses.